Proposé dans de nombreux lieux publics, musées et galeries depuis plus de vingt ans, le travail du sculpteur interroge le rapport de la pesanteur à la légèreté, de l’immobilité au mouvement. Grâce à un système de tige(s) d’acier presque toujours masqué au regard du spectateur, les différents blocs ajointés peuvent pivoter sur un axe interne à la sculpture. De cette façon, une pièce de plusieurs tonnes peut être mise en mouvement grâce à une faible poussée, et transformer alors la prétendue immobilité de la pierre en rotation aérienne. Il y a quelque chose d’onirique, et comme le rappel d’un merveilleux enfantin, à voir les sculptures monumentales de François Weil mises en branle par notre simple main, comme si la matière se trouvait tout à coup vidée de son poids, vaporisée de sorte à annuler les lois de la pesanteur. Cette intrusion mystérieuse n’est pas sans rappeler l’ébahissement que l’on peut ressentir devant les énormes blocs déplacés par certaines civilisations anciennes (Egyptiens, Celtes, civilisations pré-colombiennes), travail gigantesque qui défie parfois l’entendement. Nul doute que le sculpteur médite lui aussi sur ces temps très anciens, et appelle à considérer devant ces blocs une tout autre échelle de temps : celle des différentes époques géologiques, un temps long à la mesure duquel, de fait, les pierres bougent…
Il y a bien dans le travail de François Weil une double perturbation de nos repères de temps et d’espace, sans toutefois que l’œuvre adopte une dimension conceptuelle. Entre figuration (pièces zoomorphes ou anthropomorphes) et abstraction, l’artiste ne choisit pas, n’indique aucune piste particulière. Il se borne à repérer des blocs déjà fissurés, arrachés à la montagne, sans jamais retoucher la pierre élue. Intuitivement, il débusque une énergie, traque un geste, révèle une forme qu’il tente de rendre dans le montage qu’il propose. Devant les blocs de Weil, tout un attirail géologique, ethnologique et anthropologique se met en branle ; car ce n’est pas simplement les pierres qui bougent, mais les différents champs de connaissance du spectateur. En-deçà de toute pratique rituelle, les sculptures de François Weil sont autant de propositions à une ouverture de la pensée, à une perturbation des formes a priori de la sensibilité, c’est-à-dire les catégories du temps et de l’espace dans lesquelles se déploie la pensée. Propositions, il est impératif de le noter, qui n’indiquent jamais de direction stable, de sens préétabli : à l’instar des blocs en équilibre, le geste du sculpteur se fonde sur une indécision essentielle ; le spectateur est ainsi invité à poursuivre de lui-même le chemin esquissé, dans la direction qui plaira à sa fantaisie.
A Chambord, c’est donc un dialogue minéral avec le monument qu’a proposé l’artiste : du tuffeau au marbre, au calcaire ou à la pierre volcanique, Weil a développé comme un catalogue de variations sur un même matériau, une rêverie sur le rapport d’échelle, de couleurs, de rythmes, entre ses œuvres et cette sculpture monumentale que constitue le château.
Le film de Patric Turner, François Weil rock Chambord, diffusé sur site et réalisé spécifiquement pour l’exposition, a permis aux visiteurs de mieux appréhender le travail de François Weil