#retoursurimage (7) Exposition François Weil à Chambord

du 20 octobre 2013 au 16 mars 2014

Le travail de François Weil allie la force et l’élégance. La beauté de ses sculptures tient autant à leur monumentalité qu’à la légèreté de leurs oscillations et au défi lancé à la pesanteur.

 

À travers la gravure, l’artiste change d’échelle et retranscrit la densité et le grain de la pierre, son poids et sa présence massive sur une chute de bois.

L’exposition qui a eu lieu à Chambord du 20 octobre 2013 au 16 mars 2014 s’articulait autour de 20 sculptures monumentales présentées aux abords et dans la cour du château, le tout complété par de nombreuses gravures qui occupaient une grande salle du deuxième étage. Elle s’est terminée avec le spectacle de Pierre Meunier, Au milieu du désordre, qui est venu clôturer l’exposition.

Proposé dans de nombreux lieux publics, musées et galeries depuis plus de vingt ans, le travail du sculpteur interroge le rapport de la pesanteur à la légèreté, de l’immobilité au mouvement. Grâce à un système de tige(s) d’acier presque toujours masqué au regard du spectateur, les différents blocs ajointés peuvent pivoter sur un axe interne à la sculpture. De cette façon, une pièce de plusieurs tonnes peut être mise en mouvement grâce à une faible poussée, et transformer alors la prétendue immobilité de la pierre en rotation aérienne. Il y a quelque chose d’onirique, et comme le rappel d’un merveilleux enfantin, à voir les sculptures monumentales de François Weil mises en branle par notre simple main, comme si la matière se trouvait tout à coup vidée de son poids, vaporisée de sorte à annuler les lois de la pesanteur. Cette intrusion mystérieuse n’est pas sans rappeler l’ébahissement que l’on peut ressentir devant les énormes blocs déplacés par certaines civilisations anciennes (Egyptiens, Celtes, civilisations pré-colombiennes), travail gigantesque qui défie parfois l’entendement. Nul doute que le sculpteur médite lui aussi sur ces temps très anciens, et appelle à considérer devant ces blocs une tout autre échelle de temps : celle des différentes époques géologiques, un temps long à la mesure duquel, de fait, les pierres bougent…

Il y a bien dans le travail de François Weil une double perturbation de nos repères de temps et d’espace, sans toutefois que l’œuvre adopte une dimension conceptuelle. Entre figuration (pièces zoomorphes ou anthropomorphes) et abstraction, l’artiste ne choisit pas, n’indique aucune piste particulière. Il se borne à repérer des blocs déjà fissurés, arrachés à la montagne, sans jamais retoucher la pierre élue. Intuitivement, il débusque une énergie, traque un geste, révèle une forme qu’il tente de rendre dans le montage qu’il propose. Devant les blocs de Weil, tout un attirail géologique, ethnologique et anthropologique se met en branle ; car ce n’est pas simplement les pierres qui bougent, mais les différents champs de connaissance du spectateur. En-deçà de toute pratique rituelle, les sculptures de François Weil sont autant de propositions à une ouverture de la pensée, à une perturbation des formes a priori de la sensibilité, c’est-à-dire les catégories du temps et de l’espace dans lesquelles se déploie la pensée. Propositions, il est impératif de le noter, qui n’indiquent jamais de direction stable, de sens préétabli : à l’instar des blocs en équilibre, le geste du sculpteur se fonde sur une indécision essentielle ; le spectateur est ainsi invité à poursuivre de lui-même le chemin esquissé, dans la direction qui plaira à sa fantaisie.

A Chambord, c’est donc un dialogue minéral avec le monument qu’a proposé l’artiste : du tuffeau au marbre, au calcaire ou à la pierre volcanique, Weil a développé comme un catalogue de variations sur un même matériau, une rêverie sur le rapport d’échelle, de couleurs, de rythmes, entre ses œuvres et cette sculpture monumentale que constitue le château.

Le film de Patric Turner, François Weil rock Chambord, diffusé sur site et réalisé spécifiquement pour l’exposition, a permis aux visiteurs de mieux appréhender le travail de François Weil

Le mot de l’artiste aujourd’hui

Je me souviens que, une fois passée la joie de l’annonce du projet d’exposition à Chambord est venue la panique ! Comment faire face à ce monstre de matière, d’architecture, d’histoire ? Je n’allais pas changer mon mode opératoire, ma façon de m’exprimer, il fallait prendre le risque de se confronter, plastiquement, au château ; j’ai certes produit des œuvres spécifiquement pour l’exposition, grâce au projet, en me disant qu’il fallait se faire confiance. On n’entre pas en concurrence avec un tel lieu : on tente simplement de donner une forme de réponse, la sienne, on tente d’entrer en résonance. Au final, ce n’est pas une « exposition », dans le sens habituel du terme, à quoi on aboutit, plutôt une histoire singulière qui te contraint à inventer. Parce que mon regard sur le château a changé lui aussi. Bien sûr, je connaissais Chambord, mais je suis passé de la vision d’un visiteur à celle d’une rencontre intime avec le lieu, avec l’espace qu’il occupe et qu’il organise : j’ai noué avec lui une relation intime. A la fin de l’installation, il y a eu une sorte de chute d’adrénaline : c’est la réaction des gens qui permet ensuite de se remettre à flot, et il est clair que ça m’a donné du souffle, de l’oxygène pour continuer mon aventure.

Depuis, je suis revenu bien souvent, notamment pour d’autres expositions, à Chambord. Lors du vernissage de celle de Jérôme Zonder, en 2018, un gardien m’a reconnu dans le fameux escalier à double révolution : « Vous revenez faire quelque chose ? » m’a-t-il demandé, me rappelant avec enthousiasme certaines sculptures installées 5 ans auparavant. J’ai été obligé de le détromper : une exposition n’a qu’un temps… Mais j’ai été touché par sa remarque, son plaisir : c’est vraiment formidable de toucher ainsi des gens qui n’appartiennent pas au monde de l’art contemporain, qui ont pu ainsi rencontrer des œuvres par hasard. C’est un cadeau, qui permet d’affronter tant de choses, surtout dans une période comme celle que nous vivons actuellement. Et c’est aussi cela que permet une exposition dans un lieu ouvert au grand public comme Chambord. Pour le visiteur, mais aussi pour l’artiste. Il m’a toujours semblé qu’il était essentiel de se confronter à des choses qui ne vont pas de soi, de se mesurer, plastiquement, à ce qui est différent. C’est tout à fait vital ; sinon, on court le risque de rester cloitré dans une forme de routine, de convenance. C’est ce type de confrontation qui permet, encore et encore, d’avancer.

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