#retoursurimage (14) Exposition Susumu Shingu, une utopie d’aujourd’hui

du 6 octobre 2019 au 15 mars 2020

D’abord dessinées, puis fabriquées par l’artiste à l’échelle d’une maquette, les sculptures de Susumu Shingu entrent dans un dialogue harmonieux avec leur environnement, réenchantant l’espace. À Chambord, le public a pu découvrir pendant cinq mois une sculpture flottante sur le canal, dans l’axe du château, mais aussi ses pages de carnets témoignant d’une troublante proxi­mité avec ceux de Léonard et, pour la première fois hors du Japon, un projet de village utopique actuellement en cours de construction dans les environs de Kobe.

Susumu Shingu (né en 1937) est aujourd’hui considéré comme l’un des artistes les plus importants de la scène japonaise. Au fil de multiples expositions en Asie, aux États-Unis et en Europe, il a acquis une notoriété grandissante qui lui a permis d’intégrer nombre de collections publiques et privées. À ce jour il a installé plus de 200 sculptures dans des espaces publics du monde entier.

Formé à la peinture des maîtres italiens pendant six années à Rome, il se tourne ensuite vers un travail qui compose sans cesse avec les éléments naturels : eau, vent, gravité… Ses sculptures sont mises en mouvement par les flux, incarnations poétiques d’un monde dans lequel le geste artistique révèle l’énergie naturelle. C’est ainsi que l’artiste a pu créer à Sanda, non loin d’Osaka et Kobé, le « Musée du Vent Susumu Shingu », vaste espace naturel dans lequel ses sculptures dansent avec le vent, révélant la présence, habituellement invisible, de l’air qui les entoure.

La dimension écologique de son œuvre est évidente, et a trouvé un écho parfait dans un domaine lui aussi dédié à la nature ; mais le rapport à Chambord, l’année même du 500ème anniversaire célébrant le début de la construction du château et de la mort de Léonard de Vinci, était bien plus étroit encore. Ingénieur mécanique, Susumu Shingu partage de troublantes analogies avec Léonard : obsédé comme lui par la question des flux et du mouvement perpétuel, il utilise également des carnets sur lesquels il jette de nombreuses idées (dessins et textes), qui constituent un témoignage à la fois émouvant et saisissant d’un esprit toujours en quête.

Little Cosmos (2014)  © Georges Poncet – Courtesy Mudam

Plus encore, il a conçu depuis quelques années l’idée d’un village utopique, dédié aux arts, dans lequel des artistes seraient invités à collaborer ensemble, projet qui entre en résonance avec cette « utopie à l’œuvre » qu’est Chambord.

Les salles d’exposition ont dévoilé au public la maquette de ce village, des sculptures suspendues, accompagnées de dessins et de carnets de l’artiste, permettant au visiteur de pénétrer dans son univers à la fois onirique et parfaitement agencé. À l’extérieur du château, plusieurs œuvres, dont une magnifique sculpture flottante sur le canal, soulignaient à la fois la parenté avec le Maître florentin et la fascinante énergie d’une œuvre en harmonie avec le monde.

L’exposition a été présentée avec le soutien de la galerie Jeanne Bucher Jaeger.

 

Le mot de l'artiste

Ma première visite au Château de Chambord est aussi vivante qu’une scène de film. Il y a plus de vingt ans, j’avais quitté Paris tôt le matin et je m’étais rendu directement au château, impatient de le voir. Arrivé là-bas, seul, j’ai attendu l’ouverture des portes. Tout était enveloppé dans une brume profonde qui se dissipa bientôt pour laisser apparaître d’innombrables tours dans la lumière du matin. En cet instant, je fus fasciné par le charme du château.

Lorsque, en décembre dernier (2018), le projet d’une exposition à Chambord s’est soudainement concrétisé, ce fut comme si cette première image s’était à nouveau matérialisée devant mes yeux !

Léonard de Vinci a passé les dernières années de sa vie en France. Le roi François Ier, qui l’avait fait venir d’Italie, ordonna la construction du château de Chambord l’année même où Léonard mourut. Le fameux escalier à double révolution, situé au centre du château, aurait été directement inspiré du maître. Sur le toit d’innombrables lignes de flèches de styles, de hauteurs et d’épaisseurs différents semblent ignorer l’équilibre de l’ensemble. C’est cette forme fondamentale qui lui donne tout son charme. Je ressens fortement ici l’esprit de Léonard de Vinci.

L’artiste, qui s’est échappé de l’effervescence de la Renaissance italienne où régnaient Michel-Ange et Raphaël, a vécu à Amboise, la ville où se trouvait le Clos Lucé, un château de François Ier. Lorsque le roi lui demanda de travailler sur un projet de ville idéale, Léonard mit toute son expérience de l’hydraulique en pratique et conçut dans ses plans d’urbanisme une écluse qui aurait permis de contrôler le volume d’eau en reliant son ouverture et sa fermeture à une roue hydraulique. Si cette cité avait été réalisée, elle aurait concrétisé, très exactement, l’utopie de Léonard. Il mourut à l’âge de 67 ans, le 2 mai 1519, après plus de trois années passées en France.

Quand je me penche sur mon passé, je me rends compte que Léonard est toujours apparu dans ma vie au moment opportun. La première fois, c’était en 1956 lorsque je suis entré à l’Université des Beaux-Arts de Tokyo. Instinctivement, je savais qu’il ne s’agissait que d’une étape, même si j’avais conscience de la chance que représentait cette opportunité en tant qu’artiste. Je pense avoir attendu la voix de Léonard m’appeler à ce moment-là.

Passionné par les peintures italiennes du début de la Renaissance, je me suis consacré à apprendre l’italien pendant mes études universitaires. Après avoir obtenu mon diplôme, à un peu plus de 20 ans, je suis allé en Italie en 1960 grâce à une bourse du gouvernement italien. J’ai passé six ans à Rome, abandonnant la peinture figurative pour l’abstraction, m’orientant ensuite vers la tridimensionnalité et enfin vers une sculpture activée par le vent. Je me demande pourquoi j’ai pu évoluer si rapidement. Sans doute parce que j’étais à Rome, entouré par les œuvres des maîtres anciens, déployant les ails de la création au-delà des simples domaines de la Renaissance et du baroque. En me concentrant sur la fabrication de sculptures mobiles qui se meuvent grâce au vent et à l’eau, Léonard m’a donné des indices comme autant de conseils.

Après l’exposition consacrée aux 500 ans de Chambord et à l’hommage rendu au grand maître de la Renaissance, Yannick Mercoyrol m’a invité à exposer, ce qui me permet d’annoncer le projet « Atelier Earth », développé en coopération avec la préfecture de Hyogo.

Cet endroit se situe au Hyogo Prefectural Arima Fuji Park, dans la ville de Sanda, où je vis. Des bâtiments indépendants : un musée, un théâtre, un atelier et un café offrant une vue sublime sont disposés autour d’une place et reliés entre eux par une voie circulaire. Au sommet de chaque toit se trouve une tour, sur laquelle est placée une sculpture colorée se mouvant au gré du vent. Certaines de ces sculptures sont connectées à des dispositifs intérieurs permettant le mouvement des éléments dans la pièce.

J’ai bien souvent présenté des sculptures activées par le vent et l’eau, des livres d’images, des concerts et des œuvres de théâtre dans l’espoir de transmettre au plus grand nombre l’amour de la précieuse nature de notre planète Terre. Désormais, mon projet est de créer un lieu où les gens pourront venir, sans détruire davantage la nature, et où nous pourrons prendre plaisir à réfléchir au futur mode de vie humain.

Des concerts, des pièces de théâtre, des conférences, mais aussi des spectacles de marionnettes du monde entier y seront programmés. Chaque fois que vous vous y rendrez, il s’y passera quelque chose d’excitant.

L’Atelier Earth, dont la maquette a été exposée au château de Chambord, est le lieu que je veux bâtir. C’est mon Utopie.

J’aime à penser que Léonard aura vu ce projet.

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