Né en 1951 à Bourges, Jean-Gilles Badaire est peintre, dessinateur et écrivain. Au fil de livres d’artistes et de livres illustrés avec les écrivains et poètes majeurs du siècle (Ungaretti, Cendrars, Gracq, Noël, Segalen, etc.), il s’est imposé comme l’un des artistes majeurs à la croisée de la peinture et de la littérature. Mais ce pan de son œuvre ne doit pas occulter son travail central : celui des carnets, pratique quotidienne de croquis, dessins, et huiles sur papier, et surtout des centaines de toiles produites en plus de trente ans.
Présentée en France, Belgique, Allemagne ou Hollande, l’œuvre de Jean-Gilles Badaire est celle d’un peintre qui n’a jamais renoncé à la figure, travaillant par cycles successifs qui lui ont fait aborder aussi bien des natures mortes (Pots), des motifs végétaux (bouquets renversés) ou religieux, des vanités, des paysages et des figures humaines (Mariées) ou mythologiques. Son travail manifeste une profonde connaissance de l’histoire de l’art, traversant les genres classiques de la peinture en les unifiant par un style immédiatement repérable pour le spectateur : utilisation de matériaux pauvres (foin, huile de vidange, cendre, cambouis), travail sur la transparence, énergie du geste, et comme une forme de gaucherie insigne, un goût pour la matière brute dans la lignée des Fautrier, Rebeyrolle ou de certains adeptes américains du « bad painting ». Les motifs représentés sont, quant à eux, issus du quotidien, refusant toute grandiloquence ou tout message : tel bouquet de pavots, tel village dogon, un crâne posé sur une chaise, une silhouette famélique d’étrange mariée, vue de dos… Rien que de l’ordinaire, pris dans la furie de peindre qui confère au motif sa puissance expressive. Celle même à laquelle les nombreux écrivains qui ont parlé de son travail ont donné libre cours : car de Bernard Noël à Marc Blanchet, en passant par Yves Peyré ou Pascal Commère, ce n’est pas un hasard si tant de poètes ont rêvé à partir des toiles de Badaire, qui semblent être comme une invitation à l’écriture…
A Chambord, l’exposition a regroupé, sur 600 m2, plus d’une soixantaine de travaux de l’artiste, essentiellement des toiles et des papiers, agrémentés de livres illustrés. Nous avions alors décidé de montrer une sélection d’œuvres récentes (majoritairement des cinq dernières années), en organisant l’exposition par cycles, fidèles en cela à la pratique de composition elle-même. En effet, pour Jean-Gilles Badaire le processus créatif s’apparente à une forme de cérémonial, chaque cycle constituant le résultat d’une dévotion exclusive à un motif ou une tonalité unique. Les Cérémonies qui donnent leur titre à l’exposition sont donc comme le rassemblement de périodes de création dédiées à une figure : ainsi le spectateur a-t-il pu circuler des figures mythologiques (2003) aux Stations (2010), de la Surface des Morts (2004) aux Bouquets noirs (2011), des Grands paysages (2006-2007) aux Mariées (2007-2008).
Jean-Gilles Badaire à Chambord, c’était un clin d’œil biographique, bien sûr : le peintre a en effet travaillé longtemps comme guide conférencier au château, qu’il a même habité plusieurs années ! Mais le pari de l’exposition consistait à suggérer que la connivence de l’artiste avec le lieu dépasse les hasards de sa biographie : l’omniprésence du végétal dans son travail, celle des vanités et, plus encore, l’énergie sourde qui habite ses toiles résonne en profondeur avec ce que l’on pourrait nommer l’esprit des lieux dont il a su s’imprégner si profondément dans un site qu’il connaît parfaitement.
Badaire à Chambord, c’était alors le salut discret, mais intime, d’un artiste à ses propres traces, à son espace mental, à une esthétique, pareillement, faite d’élans, de retraits, de sauvagerie, d’appels et d’échappées belles vers la nature ; à une œuvre qui, au fond, a la vertu rare de ne pas reculer devant le monde.