Si la série des lectures présentées depuis plus de 10 ans à Chambord s’attache à faire (re)découvrir des écritures diverses, dont l’exigence est la seule qualité commune, il est toutefois des écrivains avec lesquels une forme de relation plus étroite s’est, au fil du temps, installée. Céline Minard incarne cette “familiarité”, au sens littéral. Invitée à lire pour la première fois, en avril 2014, son roman empruntant aux codes du western Faillir être flingué, elle a été ensuite en résidence, fin 2015, au château, où elle a mis la dernière main au Grand Jeu, et est revenue cette année pour lire des extraits de Plasmas. Paru à l’été 2021, ce nouveau livre radicalise encore l’aventure littéraire initiée voici presque 20 ans avec R (2004, Comp’Act). Après avoir repris, pour mieux les tordre, divers codes narratifs (roman philosophique, chanson de geste drolatique, western, autobiographie, etc.), Céline Minard joue ici, comme elle avait pu déjà s’y essayer avec Le Dernier Monde en 2007, avec l’univers de la science-fiction : son livre se place d’ailleurs sous l’égide d’Ursula Le Guin, la première section narrative met en scène un parterre de Bjorgs, d’autres semblent se situer dans un monde post-apocalyptique, un objet non identifié est ailleurs le centre de l’attention d’un scientifique, et le livre s’achève sur une étrange créature, une Kuin qui tient à la fois de l’héroïne de manga, du gourou adepte de collapsologie, ou encore de la Pythie contemporaine… Mais tout ceci ne constitue, au fond, que la trame, assez lâche, d’un livre qui déborde tous les genres pour inventer une forme qui lui est propre. Ni roman ni recueil de nouvelles, encore moins récit de science-fiction, Plasmas est un objet totalement singulier, porté par une écriture aussi précise que sensuelle, profondément investi par les enjeux de notre monde en déshérence. Ceux que définit, précisément, le “plasma” : un état désordonné de la matière, en déséquilibre, à l’image des trapézistes qui ouvrent un livre peuplé d’animaux, de créatures ou objets hybrides dont l’habitation entre en conflit, plus ou moins larvé, avec les humains. Sans verser non plus dans la fable ou l’allégorie, Plasmas est un chant polyphonique où l’attente et l’urgence, le mouvement et l’immobilité, le désastre et l’espoir, la fragilité et la brutalité coexistent dans un équilibre dont la langue maintient la grâce, en lisière d’effondrement. Un texte halluciné et poétique, tranchant et doux, qui pourrait bien être ce qu’on connaît si bien, et rencontre si peu : un grand livre.