Écrivains à Chambord : cycle de lectures 2023

Après avoir proposé près de 60 lectures ces dernières années au château, le cycle “Écrivains à Chambord” revient en 2023 avec le même principe : faisant écho à l’homme de lettre que fut François Ier, un écrivain est invité à venir lire quelques extraits de ses œuvres. Ces rendez-vous avec la littérature de notre temps, ouverts à tous, s’achèvent par un échange entre l’auteur et son auditoire puis par une séance de dédicaces.

Entrée gratuite, sur réservation à culture@chambord.org

Lecture-conférence de Charles Stépanoff : "Chasses traditionnelles et écologie : changer de paradigme" - Dimanche 03 décembre 2023

Ancien élève de l’École normale supérieure en philosophie, Charles Stépanoff se dirige, au début des années 2000, vers l’anthropologie et choisit la Sibérie du Sud comme terrain de recherche. Il étudie alors notamment les Touvas et les Khakasses, peuples turcophones de cette région du monde, et soutient une thèse sous la direction de Philippe Descola. Privé de son terrain de recherche durant la pandémie de Covid-19, il se replie alors sur le territoire hexagonal afin d’étudier les pratiques de chasse dont il a pu longuement, en Sibérie, observer les enjeux rituels. Cette nouvelle recherche aboutit en 2021 à la publication, aux éditions La découverte, de L’animal et la mort, vaste enquête dans laquelle la chasse constitue un point d’observation pertinent afin d’interroger nos rapports contradictoires au vivant en pleine crise écologique.

Dans le sillage de ce livre important, Charles Stépanoff est venu présenter à Chambord, haut lieu de pratiques cynégétiques depuis son origine, une réflexion sur certaines pratiques traditionnelles de chasse récemment mises en question. Des études récentes soulignent en effet la corrélation entre déclin des réseaux locaux de subsistance, perte de diversité écologique et extinctions des espèces. Prenant appui sur cette nouvelle perspective bioculturelle holistique, il a examiné plus particulièrement le cas des pratiques françaises d’oiselage définies juridiquement comme « chasses traditionnelles ». Alors que ces formes de piégeage font l’objet de controverses depuis de nombreuses années, il n’existe jusqu’à présent aucune étude ethnoécologique de synthèse à leur sujet. Fondé sur une série d’enquêtes de terrain, la conférence donnée par Charles Stépanoff a documenté les techniques et les savoirs écologiques impliqués dans les différentes « chasses traditionnelles » en France : tendelles des Causses, tenderies aux grives et tenderies aux vanneaux des Ardennes, pantes, pantières et matoles en Aquitaine et gluaux de Provence. En examinant l’impact fonctionnel de ces pratiques dans les socio-écosystèmes et leur rôle dans la transmission intergénérationnelle des liens des communautés locales à leur milieu, cette conférence a esquissé une analyse des fondements cosmologiques des confrontations de longue durée autour de l’oiselage.

Nous avons ainsi achevé l’année par une réflexion passionnante au cœur des questionnements écologiques et cynégétiques dans le monde contemporain.

Lecture de Marie-Hélène Lafon - Dimanche 05 novembre 2023

Si les romans de Marie-Hélène Lafon sont souvent situés dans la ruralité dont elle est originaire, ils s’écartent cependant de toute acception “régionaliste” par la grâce d’une dimension universelle, d’une tonalité sourde et humaine qui lui ont progressivement garanti une audience publique et un accueil critique importants, culminant dans l’obtention du prix Renaudot pour Histoire du fils en 2020. Toutefois, ses romans se détournent du spectaculaire, des drames urbains contemporains, du bruit et de la fureur : ce sont souvent des chroniques familiales qui se déroulent dans une campagne française silencieuse (Mo, Les Pays, Joseph), où pourtant la violence des relations, le poids de l’habitude et des gestes répétés confèrent à l’atmosphère une coloration dramatique savamment mise en scène.

Son dernier roman, Les Sources, qu’elle est venue lire à Chambord, n’échappe pas à cet univers devenu familier pour ses lecteurs. Par touches successives, Marie-Hélène Lafon esquisse la vie d’une femme prise au piège de son univers familial, évoquant dans sa langue et sa manière singulière la violence faite aux femmes, dans un contexte social sans doute bien moins souvent abordé, mais tout aussi terrible. Le destin semble peser de tout son poids sur Claire, éperdue de solitude dans une ferme des années 60 dont le lecteur devine, au fil des pages, le caractère emblématique. De sorte que les personnages de ce huis clos au grand air pourraient bien incarner toute une “génération sacrifiée” que le roman évoque de manière bouleversante, au bord du silence, sans jamais verser dans un quelconque pathos.

C’est à une rencontre marquée par l’affect qu’a invité le Domaine de Chambord en conviant une des voix les plus singulières de ce temps, puisant aux motifs d’un Henri Pourrat (à qui elle consacra sa thèse) ou, plus récemment, du grand Pierre Michon.

Lecture des "Zoologiques" d'Eric Chevillard - Dimanche 10 septembre 2023

 

Pour la reprise de la saison littéraire après la traditionnelle pause estivale, nous avons proposé une rencontre exceptionnelle, en guise de finissage de l’exposition « Pollens clandestins », de Lionel Sabatté : la lecture à deux voix (les deux comédiens Julie Delarme et Christophe Brault) des Zoologiques d’Eric Chevillard.

Eric Chevillard construit patiemment, depuis Mourir m’enrhume (Éditions de Minuit, 1987), une des œuvres les plus importantes et singulières du paysage littéraire français. Auteur à ce jour d’une quinzaine de romans, tous publiés chez Minuit, de nombreux textes plus courts, notamment chez Fata Morgana, et de l’entreprise de L’Autofictif (volumes rassemblant les 3 notes publiées chaque jour par l’auteur sur son blog, tous édités chez L’Arbre vengeur), Chevillard a imposé une manière volontiers drolatique, usant des faux-semblants, inventions loufoques et morales décalées qui pourraient bien toucher plus juste, et plus cinglant, que nombre de commentaires pompeux, littératures sérieuses et autres gloires du jour… Il évoque ainsi sa « position » d’écrivain : « Purs morceaux de délire selon certains, ses livres sont pourtant l’œuvre d’un logicien fanatique. L’humour est la conséquence imprévue de ses rigoureux travaux. »

Au fil de ses livres, Eric Chevillard a également noué des amitiés avec des artistes qui l’ont illustré, et partagent certaines de ses obsessions ou affinités électives. C’est ainsi qu’une coopération, plus étroite encore, s’amorce en 2020 avec Lionel Sabatté, dont témoigne le livre Chimères de rouille et de poussière (Bernard Chauveau éditeur), puis le texte qu’il consacre à l’artiste dans le catalogue de son exposition au MAMC de Saint-Etienne, l’année suivante. C’est pourquoi Lionel Sabatté avait souhaité que la fin de son exposition soit marquée par ce moment autour des Zoologiques de Chevillard, suite de dialogues de bêtes captives dans un zoo — un mâle et une femelle à chaque fois, appartenant à une quinzaine d’espèces différentes —, qui agissent comme loupe et miroir, révélant autant qu’ils auscultent… En miroir des bestiaires de Sabatté, exposés alors à Chambord, c’est à un dialogue entre littérature et peinture, grâce à ces Zoologiques, auquel nous avons invité les auditeurs en cette fin d’été.

 

 

 

Lecture de Mattia Filice - Dimanche 2 avril 2023

Une fois n’est pas coutume, nous avons accueilli, pour la dernière rencontre avant la haute saison, l’auteur d’un premier roman, mais quel roman ! Avec Mécano, Mattia Filice réussit un coup d’éclat pour son entrée en littérature. Conducteur de trains depuis 18 ans, il décrit son expérience de cheminot dans une forme tout à fait singulière qu’il qualifie lui-même de “pudding littéraire”, à la dimension épique marquée, qui rappelle les grandes heures des Zola ou Cendrars. Mais le texte de Filice se démarque de ses glorieux ancêtres par une pratique de l’hybridation mêlant autofiction, récit initiatique, roman choral de formation et poésie, tout cela mâtiné d’humour et d’une conscience politique aiguë.

Mécano rassemble mille récits et de multiples personnages selon une tonalité volontiers lyrique où s’impose le vers blanc. Portrait d’un groupe, le roman embrasse aussi par la langue des mécanos, leur geste pour filer la métaphore épique, la mission du preux cheminot consistant à élever le quotidien à l’épique, sans toutefois verser dans le chromo du mythe. Cette forme spécifique ne dissimule pourtant pas la difficulté du métier : le rythme de travail, les nuits à conduire, la vitesse, la peur de l’accident, croisant ainsi réflexion politique et roman d’aventures, où les multiples références au cinéma émaillent les scènes et font échapper le roman à l’enquête ou au témoignage.

Il n’empêche que le récit constitue aussi bien un hommage à ses collègues, dont il dresse une galerie de portraits tour à tour émouvants ou cocasses, dans lesquels la poésie, comme chez Hugo, accède à une dimension politique par l’intensité pathétique qu’elle autorise. La langue de Mattia Filice est au fond le personnage principal d’un roman qui, dans le sillage du Michon des Vies minuscules, rend visibles les gens du commun, et plus encore peut-être exalte leur communauté.

C’est donc un livre essentiel que nous avons invité le public à venir rencontrer à Chambord, en ce début de printemps…

Lecture d'Olivia Rosenthal - Dimanche 5 mars 2023

Pour ce troisième rendez-vous littéraire de l’année, nous avons accueilli Olivia Rosenthal, née en 1955, universitaire qui, après plusieurs essais, publie depuis 1999 pièces de théâtre, récits et romans, essentiellement aux éditions Verticales.

Révélée notamment par On n’est pas là pour disparaître (2007, prix Wepler) puis par Que font les rennes après Noël ? (2011, prix du livre Inter), elle viendra lire Un Singe à ma fenêtre, un récit spéculaire entre roman, enquête et essai dans lequel elle met en scène son projet initial d’écrire à propos des attentats perpétrés au gaz sarin dans le métro de Tokyo, en 1995, par une secte. Initié après les attentats ayant frappé la France, le projet d’Olivia Rosenthal consiste à s’éloigner du contexte français en se déplaçant vers le Japon, deux décennies plus tôt, en décidant d’interroger des gens qui n’ont pas directement vécu les attentats. Au fil des témoignages, la narratrice se perd dans des récits qui cachent plus qu’ils ne dévoilent, et fait elle-même l’expérience de la perte, de la confusion des signes et d’une forme d’incompréhension prise en charge par la langue. A partir de cette position instable, elle fait pourtant l’expérience d’une (en)quête qui, de signes en indices, laisse apparaître quelque chose qui affleure, une itinérance mêlant humour et une forme d’humanisme interrogeant les méandres de la mémoire, de ce qui est tu, mais qui peut être entendu, en filigrane, si l’on sait prêter l’oreille. Comme dans les précédents livres d’Olivia Rosenthal, le travail sur la langue explore le mystère de l’identité dans son rapport au monde et aux êtres, au collectif et à la singularité, dans un contexte dramatique qui en révèle les tensions. Ecriture musicale mêlant les voix comme autant d’instruments, le livre manifeste une singularité qui tranche avec le simple témoignage, le fait historique ou la seule dimension éthique, pour approfondir la question, et affirmer ici l’impossibilité de toute voix en surplomb.

Lecture d'Oliver Rohe - Dimanche 5 février 2023

À l’occasion de la parution récente de Chant balnéaire aux éditions Allia, nous avons été heureux de recevoir à nouveau Oliver Rohe à Chambord, pour ce 2e rendez-vous littéraire de l’année, plus de dix ans après sa résidence.

C’est en effet cet écrivain qui inaugura, au printemps 2011, le programme de résidence d’artiste tout juste créé dans un appartement du château. Il avait alors sorti ses deux premiers romans chez le même éditeur (Défaut d’origine en 2003, puis Terrain vague en 2005), suivis d’Un Peuple en petit chez Gallimard, en 2009.

Membre fondateur de la revue, puis de la maison d’édition Inculte, il y a publié différents textes interrogeant notamment le genre romanesque (Résistance au matériau) ou de grandes figures tutélaires (Fragments, Face à Sebald). Écrivain rare, Oliver Rohe a fait paraître, juste après sa résidence, Ma dernière création est un piège à taupes, un récit singulier évoquant l’invention dans l’immédiat après-guerre, par Mikhaïl Kalachnikov, du fusil qui porte son nom, puis À fendre le cœur le plus dur, co-écrit avec Jérôme Ferrari, en 2015.

À part le court Déplacements forcés, paru en 2019 à la Villa Empain, Rohe revient donc, avec Chant balnéaire, après un silence de presque sept années… Sans doute le romancier avait-il besoin de ce temps long pour donner un texte qui affronte, plus radicalement, son expérience biographique de la guerre et de ses déchirures dans le Liban de son enfance. Car si Oliver Rohe a maintes fois abordé le motif de la violence ou de la guerre dans ses publications, s’il a également souvent évoqué son pays d’origine, jamais la langue ne s’était jusque là frottée de manière aussi inventive à ce “défaut d’origine”, pour reprendre son premier titre. Le livre met en scène ce qui, au fond, pourrait constituer le “récit d’origine” de tous les exils causés par la guerre : dans le Liban des années 80, un adolescent fuit la guerre civile et s’installe, avec sa mère et sa sœur, dans un bungalow exigu d’une station balnéaire désertée en hiver, surpeuplée en été. Dans le temps et l’espace distordus par la guerre, l’adolescence s’invente entre amitiés, fugues et premiers amours. Mais c’est par sa dimension à la fois poétique et épique que le livre trouve sa singularité et sa beauté : Oliver Rohe se trouve comme contraint à l’invention d’une langue, mêlant poésie et récit, voix et sensations, afin de dire au plus près l’indicible de soi dans la violence du monde.

C’est à l’écoute de cette langue splendide, de ce chant rauque et opiniâtre que nous avons invité le public à tendre l’oreille…

Lecture d'Emmanuel Adely - Dimanche 8 janvier 2023

emmanuel Adely © Tonatiuh AmbrosettiPour le premier rendez-vous littéraire de l’année, nous avons accueilli l’écrivain Emmanuel Adely qui a présenté son dernier livre et sic in infinitum ainsi que la nouvelle Still alive et Sale, l’un des contes imaginés lors de sa résidence au château.

Lors de sa résidence depuis octobre 2022 à Chambord, Emmanuel Adely a poursuivi l’écriture d’une série d’une dizaine de contes, directement issus de ceux des frères Grimm, mais propulsés dans un monde contemporain acerbe et tranchant, contes dont les notions intemporelles de désir, de peur, d’orgueil, de convoitise ou d’accomplissement sont mises en perspective par des préoccupations et des faits contemporains. Ce projet donnera lieu à un concert avec l’ensemble Cairn, le 11 juillet prochain, dans le cadre du 12ème Festival de Chambord. En avant-première, Emmanuel Adely a lu notamment l’un de ceux qu’il a écrits lors de sa résidence au château, ainsi que son dernier livre, et sic in infinitum, un texte inspiré par le Portrait d’Alof de Wignacourt du Caravage.

Quoi de plus rafraîchissant que quelques contes et un tableau revisités par la prose piquante d’un des plus singuliers auteurs d’aujourd’hui pour bien commencer l’année ?…

Auteur d’une douzaine de livres publiés dans différentes maisons d’édition, Emmanuel Adely travaille des formes diverses (romans, nouvelles, pièces radiophoniques, mais aussi films et vidéos ou lectures performatives) au sein desquelles la subjectivité du narrateur constitue bien souvent le motif principal du texte. Selon les mots de l’écrivain, “l’écriture est une façon de comprendre l’autre, de dire l’autre, d’être l’autre (un moment – tout le temps). Parce que la vie ne suffit pas”.  Explorant les affres de la passion (Agar-Agar, Jeanne, Jeanne, Jeanne et Mon Amour), ou encore se plaçant littéralement dans la tête d’un des membres du commando destiné à assassiner Ben Laden (La Très Bouleversante Confession de l’homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté), Adely explore le rapport entre réel et fiction dans une écriture du « flux », souvent libérée d’une seule traite et selon une spontanéité qui mime celle de la parole. Ses textes interrogent ainsi les rapports et les écarts qu’entretiennent l’expression orale et l’expression écrite, la possibilité « d’écrire comme on parle et de lire comme on dit ».

Cette Très bouleversante Confession, particulièrement remarquée à sa parution, renforce la dimension politique et sociale de l’œuvre dont Je Paie (2016) exhibe crûment la présence. Néanmoins, la langue demeure le lieu essentiel qui informe toute la visée critique de son travail de sorte que, comme l’écrit La Nouvelle Quinzaine littéraire, ses livres ne sont « ni brûlots, ni pamphlets, (mais) des œuvres littéraires puissantes qui ne réduisent pas le dehors à un discours mais cherchent au contraire à réintroduire du mouvement et une complexité dans les images qu’elles nous proposent.”

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