Les collections françaises pendant la Seconde Guerre mondiale : des évacuations aux restitutions

Journée d’étude du 19 novembre 2022

Oeuvres d'art dans des boîtes en 1940 au château de Chambord

En écho à l’ouverture de l’espace permanent consacré au rôle joué par le château dans la protection des collections durant la Seconde Guerre mondiale (en novembre 2022), le Domaine national de Chambord a organisé dans ses murs une journée d’étude le 19 novembre prochain.

Rassemblant quelques spécialistes et ouvertes à tous, cette journée a pour objectif de replacer le dépôt de Chambord au cœur du parcours souvent tumultueux des œuvres d’art, de leur évacuation à leur restitution.

 

 

 

 

 

 

La manifestation était articulée autour des thèmes suivants (programme détaillé ci-dessous) :

  • Le matin (10h-13h) :
    • L’exode des œuvres d’art de mai-juin 1940, notamment celles du Louvre (Éric Alary)
    • La vaste question de l’évacuation des musées illustrée par les cas précis du Louvre et de Versailles, dont une partie des œuvres a été dirigée vers Chambord (Claire Bonnotte Khelil et Vivien Richard)
    • Le quotidien de Chambord, qui troque en 1940 son rôle de gare régulatrice contre celui de dépôt à part entière (Alexandra Fleury)
  • L’après-midi (14h30-17h30) :
    • Un marché de l’art parisien florissant (Emmanuelle Polack)
    • La complexité des restitutions des œuvres spoliées, toujours d’actualité (David Zivie)

 

Photographies : Chambord entre 1939 et 1945 © Gonzague Dreux / Collection Dreux

Programme détaillé (sous réserve de modifications)

10h15-10h45 : L’exode des œuvres d’art en mai-juin 1940

[Eric Alary, Eric Alary, Professeur de Chaire supérieure en classes préparatoires littéraires aux Grandes Écoles (lycée Descartes de Tours, Docteur en Histoire de Sciences Po Paris et Président du Conseil d’Administration des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois (Centre européen de promotion de l’Histoire)]

En 1940, la France est l’une des plus grandes démocraties du monde avec des institutions solides et des musées de premier plan. Et pourtant, en quelques semaines, le pays s’écroule face au déferlement des armées d’Hitler. L’Etat fuit en Touraine puis à Bordeaux ; des préfets, des gendarmes et de policiers quittent leur poste en catastrophe. Par contagion, une marée humaine se lance sur les routes, dans une marche syncopée. Deux vagues se succèdent : l’une en mai et l’autre en juin. Si les autorités ont préparé des plans de repli des œuvres d’art exposées à Paris vers la province, personne ne pouvait imaginer le périple extraordinaire et quasi irréel de certaines d’entre elles, notamment en juin.

8 à 10 millions de personnes migrent en urgence sur les routes de France, alors que l’armée est en pleine débâcle. Les fonctionnaires essaient de sauver ce qui peut l’être, depuis les dossiers sensibles jusqu’aux œuvres du Louvre, par exemple. Le sauvetage de certaines toiles ou autres objets d’art est dû au courage d’une poignée de conservateurs et d’agents, mais aussi à la chance parfois. Plusieurs châteaux voient passer ou s’arrêter des conservateurs et des agents avec leurs précieux chargements, souvent hébétés, mais déterminés à sauver ce qui pouvait l’être, entre les bombardements sur les routes et les convois de militaires et de familles éreintées, paniquées et provoquant d’immenses bouchons routiers. Nombre d’œuvres d’art déplacées en urgence susciteront ensuite la convoitise des pilleurs nazis. Faire le point sur cette « aventure » culturelle singulière est indispensable et permet d’observer autrement ce que fut le drame de 1940.

 

11h- 11h30 : Les collections du musée du Louvre et du château de Versailles réfugiées à Chambord

[Claire Bonnotte Khelil (collaboratrice scientifique au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon) et Vivien Richard (conservateur du patrimoine au musée du Louvre)]

Cette intervention interrogera à deux voix l’histoire de l’évacuation d’œuvres du musée du Louvre et du château de Versailles à Chambord, alors parfois qualifié de « roi des dépôts ». Partant de premières réflexions dans les années 1930, le propos ira jusqu’au quotidien des hommes chargés de veiller sur elles. Une lumière sera apportée sur le choix des œuvres déposées en ce lieu et sur leur valeur artistique et symbolique. À travers cette histoire comparée de l’évacuation du Louvre et de Versailles, il s’agira de présenter les sources disponibles et de mettre en exergue, par des similitudes et des divergences, la place de Chambord pour chacune de ces deux institutions durant la Seconde Guerre mondiale.

 

11h45- 12h15 : Chambord, 1939-1945 : un château au service des œuvres

[Alexandra Fleury, chargée de missions à la Direction du patrimoine et de la programmation culturelle du Domaine national de Chambord]

Placé au cœur d’un plan d’évacuation et de sauvegarde des œuvres conçu et coordonné par la Direction des musées de France, Chambord a joué un rôle essentiel dans la protection des chefs-d’œuvre des collections françaises, dès les premières évacuations des musées parisiens, en devenant le plus important dépôt. Grâce à la dévotion quotidienne de conservateurs et de fonctionnaires du patrimoine, devenus les gardiens d’un château transformé en musée aussi singulier qu’improbable (où la Joconde côtoya la Dame à la licorne), des milliers d’œuvres d’art ont traversé cette sombre période sans encombre avant d’être restituées intactes à leurs institutions respectives.

Une page d’histoire s’est tournée lors de la remise de la croix de guerre au maire du village, en 1949, en hommage aux habitants exécutés le 21 août 1944 par une colonne allemande en retraite qui avait au préalable incendié une partie du village et menacé de détruire le château.

La mise en lumière, et en images, de l’histoire récente et plutôt méconnues de la vie du château et du village de Chambord permettra également de rendre un hommage légitime à toutes ces personnes de l’ombre qui, du directeur des Musées nationaux aux gardiens souvent invalides de guerre, des habitants aux résistants, ont veillé sur « la beauté du monde ».

 

14h45-15h15 : Le Marché de l’art à Paris sous l’Occupation

[Emmanuelle Polack, historienne de l’art, Musée du Louvre]

La découverte le 3 novembre 2013 de 1406 toiles et dessins chez Cornelius Gurlitt à Schwabing, dans un quartier de Munich, est fascinante à divers titres.  Si les médias se sont emparés de cet évènement en questionnant les valeurs monétaires des œuvres apparues au grand jour ou redécouvertes pour certaines d’entre-elles, cette question n’est pas primordiale pour la communauté scientifique. Son intérêt s’attache, plus particulièrement, à la leçon d’histoire, et d’histoire de l’art que cette réalité recouvre et aux recherches de provenances des œuvres qu’elles requièrent.

Pour bien saisir l’ampleur d’une telle surprise, dans le cercle restreint des spécialistes des pillages des œuvres d’art durant la Seconde Guerre mondiale, il faut accepter de se plonger, tout d’abord, dans l’Allemagne des années 1930, avant d’appréhender une analyse du marché de l’art à Paris pendant l’Occupation. Le fait est indéniable, le marché de l’art à cette époque est florissant. Les transactions d’œuvres d’art deviennent en cette période de forte inflation en France, une des valeurs refuges. Les tableaux que l’on préfère de petite taille, représentant des paysages ou des silhouettes de femmes, font florès dans les circuits traditionnels de la vente des arts, que ce soient les galeries, les salons ou bien encore les maisons de vente publiques.  L’euphorie du marché de l’art sous l’Occupation est aussi le reflet d’un afflux des marchandises issues des spoliations artistiques des personnes de confessions juives ou de tout autre opposant au IIIe Reich.

Le nœud d’exploration de cette communication se place volontairement sur cette question.

 

15h30-16h : Biens culturels spoliés : le long travail de recherche et de restitution 

[David Zivie, responsable de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 du ministère de la Culture]

Alors que les collections publiques étaient mises à l’abri et très peu touchées par l’Occupant, les œuvres d’art appartenant aux Juifs ont été la cible de spoliations systématiques, dans le cadre d’une politique de persécution globale par les nazis et par le régime de Vichy. Plusieurs dizaines de milliers d’œuvres d’art volées ou vendues sous la contrainte n’ont pas été retrouvées et circulent parfois aujourd’hui sur le marché de l’art. D’autres œuvres, non restituées, se trouvent aujourd’hui dans des musées et n’ont pas encore été identifiées. La réparation des spoliations antisémites demeure un impératif et les œuvres spoliées doivent être identifiées et restituées aux ayants droit de leurs propriétaires. David Zivie reviendra sur les travaux en cours, sur les enjeux de la recherche de provenance et les politiques publiques menées pour tenter de réparer les spoliations et de rendre justice aux victimes.

 

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