Mais le mystère de Chambord dépasse de beaucoup le chiffre mystérieux qu’on ne trouve que sur ce seul château du roi François : pourquoi avoir bâti une telle splendeur démesurée au milieu de nulle part, dans ce qui était un « désert » inhospitalier cerné de marécages ?
On sait que le roi voulait une résidence de chasse, où la « petite bande » puisse passer de courts séjours, et il est vrai que l’endroit était giboyeux. Mais il voulait en même temps que Chambord soit une merveille donnée à l’admiration du monde. Du coup, les raisons de Chambord ne sont pas à chercher dans les fonctions auxquelles il aurait pu répondre, mais dans les significations que l’architecture y exprime. En cette époque où la pensée analogique règne, Chambord est une gerbe d’allégories où se mêlent le politique et le religieux. Ce château est avant tout un exercice de rhétorique monarchique : le rêve d’un roi.
Certes, il n’a pas été « l’architecte de Chambord », d’abord parce que ce château est une oeuvre collective, dans laquelle le roi François Ier a joué un rôle central tout au long de sa construction, ensuite parce qu’à la différence de Romorantin, on ne connaît aucun dessin de Léonard qui soit directement relatif à Chambord. En revanche, les conversations que le roi a probablement eues avec le vieil artiste ont profondément marqué le projet architectural de Chambord, y laissant d’incontestables « signatures ». On l’a dit du « plan centré » et de l’escalier. Mais il y a plus.
Codex Atlanticus : Répartition du cercle et de la quadrature (Fol. 471) Léonard de Vinci 1478-1519 Manuscrit sur papier Veneranda Biblioteca Ambrosiana, Pinacoteca, Milan (Italie)
À la fin de sa vie, compte tenu de son état de santé, Léonard était essentiellement préoccupé de questions spéculatives : le « savant-philosophe » avait pris le pas sur l’artiste-ingénieur. Il voyait le monde comme un jeu de forces où la dynamique des fluides (l’eau, l’air, le sang) engendrait les formes ; il avait médité sur le problème de la « quadrature du cercle » et envisageait une géométrie dynamique, où les formes se métamorphosent les unes dans les autres. Son objet de prédilection, au centre de cette méditation, était la spirale tourbillonnante : la forme qui naît du mouvement. L’expert des machines était devenu théoricien de la grande machinerie du monde. Pour saisir comment ces thèmes se sont inscrits au coeur de l’architecture de Chambord, il faut maintenant en venir à ce qui était, en 1519, le projet initial. Il faut faire renaître l’utopie primitive de Chambord : un donjon en « svastika », planté au milieu d’un « désert ».
En conclusion de l’exposition, après la pièce finale consacrée aux trois dessins originaux de Léonard de Vinci, un film exceptionnel, créé pour l’exposition, montrera au spectateur le projet initial du château, jamais réalisé, sur lequel plane le génie concepteur du vieux Maître, mort quelques mois avant le début du chantier…